Il ne reste plus que deux fabricants de pastilles de Vichy dont Moinet.
Petite, pâlotte, pleine de sucre et octogonale… Certains pourraient penser qu’elle ne remplit pas tous les standards des grandes stars du moment. Et pourtant, depuis près de 200 ans, elle maintient sa renommée dans le monde entier et arbore fièrement ses formes uniques. Elle, c’est la Pastille de Vichy, le médicament devenu bonbon iconique !
Comme ses intemporels amis la Bêtise ou le Coussin, la Pastille s’érige en emblème de sa ville : Vichy, la reine des villes d’eau, dont elle puise ses bienfaits uniques, issus des sels minéraux de ses sources. Si aujourd’hui deux marques seulement se partagent le monopole de sa fabrication, son histoire fut celle d’une succès story nationale. C’est dans les années 1820 que le chimiste Jean-Pierre d’Arcet découvre les vertus digestives du bicarbonate de sodium, principal élément des eaux minérales de Vichy, bien connues depuis des siècles, pour le traitement des maladies du foie et des troubles digestifs.
Il réussit à fabriquer du bicarbonate de soude à partir du gaz qui s’échappe des eaux de Vichy et confie sa recette à un apothicaire, Nicolas-François Regnault. Avec le pharmacien de l’établissement thermal de Vichy (propriété de l’État), Pierre Batilliat, il réalise la première pastille dès 1825. Les brevets pour extraire les sels contenus dans les eaux minérales de Vichy seront déposés en 1853. Ils se substituent alors au bicarbonate « pour obtenir un équilibre minéral plus naturel. »
La forme octogonale reconnue par un décret impérial
En 1856, la Compagnie fermière de Vichy veut la différencier des autres pastilles digestives. L’octogone devient ainsi sa forme identifiable
entre mille, reconnue comme « originale » par un décret impérial. Vendu uniquement à Vichy et en pharmacie, le médicament est alors très apprécié par l’impératrice Eugénie, femme de Napoléon III, qui en fait un des chouchous de l’aristocratie française. La mode est lancée et le succès attire les convoitises. D’autres pharmaciens se lancent dans la fabrication comme Nicolas Larbaud, père de Valéry Larbaud et propriétaire des sources de Saint-Yorre, mais aussi des confiseurs. En 1914, le syndicat des pharmaciens perd un procès contre un confiseur, ce qui entraîne l’officialisation de la mise en vente libre des pastilles Vichy.
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Le nombre de fabricants qu'il reste aujourd’hui à Vichy.
Les années 1950 verront l'arrivée de l’industrialisation à grande échelle, avec des pastilles comprimées de façon mécanique à partir d’un mélange aromatisé, puis directement conditionnées. Mais peu à peu, la petite pastille devenue bonbon rafraîchissant après un bon repas, descend de son piédestal national. Les fabricants se raréfient. On en compte plus que
deux aujourd’hui à Vichy
La maison Moinet, garant de la tradition depuis sept générations
Il faut avoir le palais bien aiguisé pour différencier les deux recettes actuelles, mais si le goût reste très similaire, c’est dans le marketing que s’affichent les subtiles oppositions. D’un côté se présente la « Pastille Vichy Source », produite par le groupe Carambar & Co, (détenu majoritairement par Eurazeo SE) et fabriquée à partir de sels minéraux des sources de Vichy. De l’autre, la « Pastille du Bassin de Vichy » de la confiserie Moinet, dont la recette jaillit de la Source Roger d’Hauterive. Mis en procès par ses concurrents en 1992, Moinet a pu continuer son activité à la condition de modifier son nom, en « Bassin de Vichy », car sa source, pourtant issue du même bassin hydrologique et avec les mêmes sels minéraux, ne jaillit pas à Vichy…
Depuis 1852 et sept générations, la famille Moinet est donc confiseur, produisant également sucres d’orge, pâte de fruits, pralinés, chocolats, bonbons glacés… « Quand la pastille de Vichy est inventée, l’idée est de pouvoir continuer sa cure d’eau thermale à la maison. Ce médicament en prolongeait les bienfaits digestifs. Lorsque mon arrière-grand-père Rémi Moinet rachète la source Roger en 1933, il en connaît les bienfaits et produit déjà des pastilles depuis 1925. À cette époque, il avait au moins trente concurrents », explique Lucas Michaille, responsable produits et logistique, auprès de ses parents dirigeants l’entreprise, Gilles et Élisabeth Michaille.
Pour en faire un bonbon agréable, on a moins de sels minéraux et plus de sucre et on a ajouté des arômes.
Évidemment la recette a depuis un peu évolué pour coller aux attentes des consommateurs. « Pour en faire un bonbon agréable, on a moins de sels minéraux et plus de sucre et on a ajouté des arômes. Rappelons que la pastille originale est à la menthe, mais on trouve aussi chez nous désormais de l’anis, du citron ou de l’orange et une version sans sucre ».
Un produit plein de renouveau
Après des années difficiles où la petite pastille s’est traînée une connotation un peu ringarde, la production est aujourd’hui stable avec 800 tonnes par an, contre moins de 200 tonnes au début des années quatre-vingt-dix. Si les marques de distributeurs en grandes surfaces représentent près de la moitié de la production annuelle de la maison Moinet, la marque propre se porte de mieux en mieux, dopée par le virage digital et l’attrait touristique de la destination Vichy, classée patrimoine mondial de l’Unesco. « Notre e-boutique affiche + 30 % de chiffre d’affaires par an depuis plusieurs années et nos réseaux sociaux se développent. Les touristes français et étrangers sont de plus en plus nombreux à vouloir ramener en souvenir des pastilles, y compris chez les plus jeunes. C’est un produit avec un très haut taux de reconnaissance auprès de consommateurs, que nous continuons de développer », précise Lucas Michaille. Pour faire perdurer la tradition familiale, Moinet continue d’investir régulièrement dans l’automatisation de ses lignes de production et va installer cette année des panneaux photovoltaïques pour gagner en autonomie sur la consommation électrique. Un juste équilibre entre modernité et tradition à l’image de cette pastille qui traverse les siècles avec un bon goût d’antan.
Les Pastilles Moinet en chiffres
Cet article est issu du beAURA » tome 3, à retrouver ici.