Je suis né pour être dans les nouilles plutôt que dans la bière”, attaque, sourire en coin, Sylvain Chiron, bien conscient qu’avec son pedigree - sa mère est une Cartier-Millon (à l’origine de Lustucru) et sa famille est connue à Chambéry depuis 1844 pour son activité dans les pâtes - on s’attend plutôt à le retrouver au sein d’Alpina Savoie qu’à la tête de la Brasserie du Mont-Blanc, dont la blanche vient d’être sacrée meilleure bière au monde.
Dernier d’une fratrie de trois garçons, Sylvain Chiron a très tôt baigné dans le monde de l’entreprise : “J’ai le parcours classique d’un fils de chef d’entreprise, se souvient-il, avec les étés passés à l’usine”. Après une enfance à Chambéry, ses parents l’ “expédient” à Lyon où il passe deux ans en internat : “J’avais besoin d’être encadré”, rigole-t-il. Emballé par la “grande ville”, le jeune homme décide d’y poursuivre ses études, au Cefam (Centre d’études franco-américain de management)…
…ce qui lui donne l’opportunité de partir aux Etats-Unis : dans le cadre d’un business bachelor à la Temple University de Philadelphie, il découvre la vie étudiante et les “craft beers” qui vont avec… mais on en reparlera plus tard ! Service militaire oblige, il revient en France. Et en bon Savoyard né avec des planches au pied, il se retrouve à Val d’Isère comme moniteur de ski pour les pilotes de chasse de l’Armée de l’Air (!).
Son père lui demande alors d’intégrer l’entreprise afin de la développer sur l’ouest de la France : “J’ai sillonné les routes dans ma vieille Fiat Panda pour vendre des pâtes de Savoie. Ce ne fut pas les deux années les plus folichonnes de ma vie, mais avec le recul, cela m’a permis de découvrir la grande distribution”. De retour aux Etats-Unis, il intègre un MBA qui le mènera trois mois au Japon.
De passage en France, il y croise son cousin qui le convainc de racheter une entreprise drômoise en difficulté. Nous sommes en 1996 et l’aventure entrepreneuriale débute pour Sylvain Chiron au sein de la Distillerie Eyguebelle. Pendant trois ans, il redonne ses lettres de noblesse aux sirops et liqueurs de cette fabrique historique portée par une soixantaine de moines. L’idée lui vient alors de diversifier la production vers les bières artisanales. Il part séjourner dans deux monastères trappistes en Belgique où il apprend les ficelles du métier de brasseur. De retour en Drôme provençale, il propose alors l’idée à la communauté.
Sylvain Chiron revend ses parts dans la distillerie et revient dans ses montagnes avec l’envie de faire renaître la tradition brassicole alpine : “A la fin du XIXème siècle, on trouvait huit brasseries dans les Alpes, attirées par la qualité de l’eau”. Une rencontre avec le maire des Houches, où se situe un captage d’eau sur les flancs du Mont-Blanc à 2 074 mètres d’altitude, donne le coup d’envoi de son projet. Nous sommes en 1999 et la Brasserie du Mont-Blanc renaît.
Installée à Chambéry, la brasserie démarre avec deux bières (une blonde et une blanche), élaborées avec l’aide de Panoramix, le maître distillateur d’Eyguebelle : “Les cinq premières années furent très difficiles…”, se souvient Sylvain Chiron. Comment imposer une nouvelle marque de bière, produite en quantité minime, face aux grands noms du secteur qui s’accaparent les linéaires… et à un autre concurrent, local celui là, qui vient de voir le jour au même moment (la Brasserie des Cimes, ndlr) ? D’autant que dans le même temps, Alpina Savoie, où travaillent ses deux frères, se retrouve en grande difficulté...
C’est une innovation qui vient mettre un terme à cette période trouble… une bière verte à base de génépi : “Nous sommes arrivés sur le marché avec un produit très décalé”. L’innovation qui fait mouche donne un coup de booster à la brasserie. En 2011, sa bière rousse est sacrée meilleure ambrée au monde. Et le marché semble enfin prêt pour les bières artisanales : “Il y a des parts à prendre quand on sait que les craft beers représentent 15 % du marché aux Etats-Unis pour moins de 3 % en France”.
Pour y faire face, Sylvain Chiron a fait entrer la brasserie corse Pietra à son capital* et s’est installé, en 2012, sur un nouveau site à La Motte-Servolex, doté d’une capacité de 30 000 hectolitres qu’il s’apprête à doubler cette année au terme d’un investissement d’1,5 million d’euros.
Les choses s’accélèrent. Et les médailles s’enchaînent, portant le succès des bières du Mont-Blanc au-delà des frontières françaises, dans une vingtaine de pays (Europe, Canada, Israël…) : “Nous souhaitons nous imposer comme la signature premium à l’export”, annonce l’entrepreneur qui a embarqué sa femme dans l’aventure en ouvrant, il y a 18 mois, une salle de restaurant jouxtant le site. Sa spécialité : “Diots à la rousse du Mont-Blanc !”
Corinne Delisle
@corinnedelisle
*La famille Chiron détient 78 % aux côtés du distributeur Dolin et de Pietra.
Bref Rhône-Alpes Auvergne n° 2233 du 10/02/2016
Pour en savoir plus sur Bref Rhône-Alpes et ses autres supports.